De nos jours, la communication par email est l’un des principaux modes de communication dans le monde du travail (Waller & Ragsdell, 2012). La plupart des salariés passent énormément de temps à vérifier, recevoir, lire, écrire, envoyer ou même classer des emails (Stich et al., 2019) et bien que ce mode de communication présente des avantages certains, il ressort qu’il peut également être associé à un ensemble d’inconvénients.
Ainsi, la grande majorité des travailleurs de la connaissance consulte fréquemment leurs emails en raison du volume de messages qu’ils reçoivent (Davenport, 2008). Cette tendance s’étend au courrier électronique sur les smartphones, et pas moins de 63 % des utilisateurs interrogés déclarent que l’utilisation d’un smartphone a entrainé une augmentation des attentes en termes de communication professionnelle par email (Towers et al., 2006). Les conséquences négatives associées au fait de devoir faire face à un grand nombre d’emails peut concerner tant l’augmentation des déséquilibres entre la vie professionnelle et la vie personnelle que l’augmentation du stress ou d’autres encore (Waller & Ragsdell, 2012).
Déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle
Dans l’ensemble, les résultats suggèrent que l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication peut venir brouiller les frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle, entrainant ainsi un ensemble de conséquences négatives pour les travailleurs (Chesley, 2005). Ainsi, les incursions de la vie professionnelle dans la vie privée vont créer des conflits entre ces deux domaines : le stress et les inquiétudes liés au travail vont alors être transférés dans la vie personnelle (Fenner & Renn, 2010). Ces incursions se sont notamment développées avec la démocratisation des nouveaux outils de communication comme les téléphones portables ou les smartphones. Les résultats d’une étude réalisée sur un échantillon (plus de 1000 personnes) montrent que l’utilisation fréquente des téléphones portables va entrainer un débordement de la vie professionnelle sur la vie personnelle. Ce débordement aura des effets négatifs et va se manifester notamment à travers des niveaux importants de stress élevé et une moindre satisfaction à l’égard de la vie familiale (Chesley, 2005).
Impact sur le stress
Le stress peut être définit si on se réfère à la définition de Lazarus & Folkman (1984) comme la perception d’un déséquilibre entre les contraintes inhérentes au travail et les ressources dont disposent l’individu pour y faire face. Le fait de devoir gérer ses emails pourrait ainsi être vu comme une contrainte supplémentaire venant s’ajouter à celles associées aux autres tâches.
Le temps passé à gérer ses emails est associé à certaines manifestations du stress : plus les individus passent du temps à gérer leurs emails et plus ils se sentent fatigués, vidés par leur travail et frustrés par ce dernier (Barley et al., 2011). De la même façon, plus les participants font face à un flux important d’emails (envoyés et reçus) et moins ils sont satisfaits de leur vie (Merten & Gloor, 2010). Si l’on demande à des individus de moins vérifier leur boite mail que d’habitude pendant une semaine, ils sont moins stressés que lorsqu’ils peuvent la consulter autant de fois qu’ils le souhaitent (Kushlev & Dunn, 2015).
Conclusion
D’une part le flux d’emails peut augmenter les incartades de la vie professionnelle dans la vie personnelle et d’autre part il peut avoir des conséquences négatives sur le stress ou la satisfaction à l’égard de la vie des individus. Les risques que ces comportements se développent dans un contexte de télétravail, où les frontières entre les différents domaines de vie s’amenuisent voire disparaissent, est important.
En effet, dans un contexte « normal », un peu plus de la moitié des propriétaires de smartphones déclarent vérifier leur appareil au moins une fois par heure (Lookout, 2012). Ce comportement a déjà été envisagé sous l’angle de la compulsion : c’est-à-dire une difficulté à se retenir de vérifier ses mails (Mazmanian et al., 2006). De plus, la réception d’email peut également engendrer une forme de pression normative de réponse : les individus peuvent penser que l’on attend d’eux une réponse et que celle-ci est normale, quelle que soit l’heure (Brown et al., 2014; Mazmanian et al., 2006). Pour ces différentes raisons, les possibilités de déconnexion peuvent être réellement menacées et impacter un équilibre nécessaire à la bonne santé psychologique. Nous conseillons dans ce sens de faire de la gestion des emails un sujet clé dans le cadre du suivi de la charge de travail. De la qualité du diagnostic des situations réelles de travail et du suivi régulier de ce sujet, dépendra la pertinence des actions de régulation afin de conjuguer bien-être et efficacité dans la durée.
Références
Barley, S. R., Meyerson, D. E., & Grodal, S. (2011). E-mail as a source and symbol of stress. Organization Science, 22(4), 887–906. https://doi.org/10.1287/orsc.1100.0573
Brown, R., Duck, J., & Jimmieson, N. (2014). E-mail in the workplace: The role of stress appraisals and normative response pressure in the relationship between E-mail stressors and employee strain. International Journal of Stress Management, 21(4), 325–347. https://doi.org/10.1037/a0037464
Chesley, N. (2005). Blurring Boundaries? Linking Technology Use, Spillover, Individual Distress, and Family Satisfaction. Journal of Marriage and Family, 67(5), 1237–1248. https://doi.org/10.1111/j.1741-3737.2005.00213.x
Davenport, T. H. (2008). Improving Knowledge Worker Performance. In From Strategy to Execution (pp. 215–235). Springer Berlin Heidelberg. https://doi.org/10.1007/978-3-540-71880-2_11
Fenner, G. H., & Renn, R. W. (2010). Technology-assisted supplemental work and work-to-family conflict: The role of instrumentality beliefs, organizational expectations and time management. Human Relations, 63(1), 63–82. https://doi.org/10.1177/0018726709351064
Kushlev, K., & Dunn, E. W. (2015). Checking email less frequently reduces stress. Computers in Human Behavior, 43, 220–228. https://doi.org/10.1016/j.chb.2014.11.005
Lazarus, R. S., & Folkman, S. (1984). Stress, Appraisal, and Coping. Springer.
Lookout. (2012). State of Mobile Security Report 2012.
Mazmanian, M., Yates, J., & Orlikowski, W. (2006). Ubiquitous email: Individual experiences and organizational consequences of BlackBerry use. Academy of Management Annual Meeting Proceedings, D1–D6. https://doi.org/10.5465/ambpp.2006.27169074
Merten, F., & Gloor, P. (2010). Too much e-mail decreases job satisfaction. Procedia – Social and Behavioral Sciences, 2(4), 6457–6465. https://doi.org/10.1016/j.sbspro.2010.04.055
Stich, J. F., Tarafdar, M., Stacey, P., & Cooper, C. L. (2019). E-mail load, workload stress and desired e-mail load: a cybernetic approach. Information Technology and People, 32(2), 430–452. https://doi.org/10.1108/ITP-10-2017-0321
Towers, I., Duxbury, L., Higgins, C., & Thomas, J. (2006). Time thieves and space invaders: technology, work and the organization. Journal of Organizational Change Management, 19(5), 593–618. https://doi.org/10.1108/09534810610686076
Waller, A. D., & Ragsdell, G. (2012). The impact of e‐mail on work‐life balance. Aslib Proceedings, 64(2), 154–177. https://doi.org/10.1108/00012531211215178