Au cours de ces dernières semaines, les psychologues d’Ekilibre 365 (service d’écoute et de soutien psychologique à distance) d’une part et les consultant(e)s du cabinet Ekilibre conseil d’autre part à travers leurs interventions auprès de différents acteurs (RH, Management, Elus) ont accueilli les inquiétudes de chacun de leurs interlocuteurs en lien avec le contexte inédit que nous vivons tous.
Outre les inquiétudes sur les impacts du contexte sur la santé physique et mentale, la menace perçue sur la qualité du lien social et sur la cohésion des équipes est apparue comme un sujet central au cœur des discussions.
Les managers rencontrés doivent gérer pour beaucoup une distance physique inédite, avec et entre, leurs collaborateurs. Les situations au sein d’une même équipe peuvent parfois mélanger différentes modalités : télétravail et présence sur site, 100 % travail à distance, chômage partiel ou 100 % travail en présentiel dans son organisation.
Ces dispersions spatiales et/ou temporelles des équipes, sans réelles visibilités, compliquent fortement la dynamique des collectifs et peuvent fragiliser les liens sociaux.
Certains collaborateurs peuvent avoir également le sentiment que leur manager ne s’intéresse pas suffisamment à eux dans cette période particulière. A la distance physique peut s’ajouter une forme de distance plus psychologique à travers un sentiment d’isolement voire d’abandon.
Loin de nous l’idée avec cet article d’être dans le catastrophisme. Nous sommes en effet convaincus qu’une telle période peutêtre source de nombreuses opportunités pour reposer les nouvelles bases de projets fondateurs dans chaque organisation et coconstruire le futur du travail.
Cependant à date, le risque de fragilisation du lien social est une réalité. Afin de ne pas en faire une fatalité, nous conseillons de faire de la maîtrise de ce risque un des axes prioritaires de l’action managériale.
Dans ce sens, nous conseillons à chaque manager d’interroger son rôle et sa posture sur ce sujet, de renforcer positivement les bonnes pratiques et de réaliser le cas échéant les ajustements nécessaires.
C’est pour accompagner cette dynamique que nous avons souhaité écrire cet article et apporter quelques éclairages sur le sujet.
Quels enjeux autour de la notion de lien social ?
L’importance du lien social et de la cohésion a été mise en avant depuis plusieurs décennies par la psychologie scientifique dans la recherche des facteurs clés de santé et performance(s) au sein des organisations.
La cohésion sociale est par exemple un sujet incontournable quand on s’intéresse aux mécanismes de l’identification des collaborateurs à leur environnement professionnel (Tajfel, 1982; Brewer & Gardner, 1996). Bien que les théories évoluent et l’explication d’un résultat en sciences humaines est toujours plurifactorielle, retenons que la cohésion agit toujours comme un facteur de renforcement positif de l’identité. Par ailleurs, l’intégration d’une composante « organisationnelle » de l’identité semble indispensable à la santé psychologique et physique des collaborateurs (Steffens et al., 2016 ; Postmes et al.,2019).
Le sentiment d’appartenir au groupe de travail a également été décrit comme l’un des trois besoins fondamentaux de tout individu, et comme l’un des grands facteurs de bien-être et de motivation professionnelle par la théorie de l’auto-détermination. (Deci et al., 2017; Deci & Ryan, 2002). Se percevoir comme membre à part entière du collectif de travail serait donc un moteur très puissant, tant au niveau du bien-être professionnel que de la performance.
Le lien est aussi un déclencheur de soutien social entre collègues et favorise la projection collective dans de nouveaux projets.
Par ailleurs, le partage d’idées et l’intelligence collective nécessairement favorisés au sein d’équipes soudées seront les meilleurs moyens de trouver des solutions innovantes face aux nouveaux risques sociaux et leurs conséquences sur la vie au travail.
Quelles solutions managériales pour préserver ou optimiser le lien social ?
En tant que manager hiérarchique ou transversal, votre rôle dans le maintien du lien social est crucial. Votre position vous place en effet par essence comme porteur et garant de l’identité de l’équipe de travail.
Si vous détectez des signaux qui vous alertent sur une perte du lien (par exemple : investissement moindre dans la relation, installation de silences inhabituels, isolement, irritabilité, …), proposez sans attendre dans un premier temps aux collaborateurs concernés un moment d’échanges afin de pouvoir exprimer explicitement leurs ressentis et leurs attentes. Le simple fait de se sentir écouté et considéré renforce considérablement le lien de confiance qui unit un collaborateur à son manager. Il en va de même entre collègues qui bénéficieraient d’espaces de discussions dédiés. Il est donc important de ne pas négliger cette forme de reconnaissance au travail dite existentielle et de l’intégrer dans ses pratiques de management.
Les signaux ne sont pas toujours évidents à percevoir car ils ne sont pas forcément exprimés de manière explicite. Ils peuvent être volontairement cachés, déguisés ou ne s’exprimer que dans une dimension spécifique de l’expression de chacun (verbal, paraverbal, non verbal). Les compétences de chacun à les percevoir sont par ailleurs assez hétérogènes. Renforcer les formations sur ce sujet pour développer ses compétences d’identification des signaux faibles est une bonne idée d’action mais elle mérite d’être complétée par des actions encore plus préventives.
Ainsi, quelle que soit la situation dans laquelle les collaborateurs ont vécu la période de confinement, nous recommandons à chaque manager de favoriser une relation avec ses collaborateurs basée sur l’écoute (de préférence active) pour mieux les comprendre et ajuster ses actions.
Nous préconisons également au management d’être facilitateur de cette écoute entre collaborateurs par la mise en place de temps d’échanges dédiés (en distanciel, en présentiel ou une solution mixte). Ils méritent d’être encouragés qu’ils s’agissent de temps plutôt formels ou bien informels.
Les échanges informels entre collaborateurs peuvent parfois être stigmatisés par les managers car ils peuvent y voir une diminution de la productivité. Pourtant le partage informel d’informations même si elles sont pour certaines extérieures au travail renforce la confiance et le sentiment d’appartenance au collectif.
C’est sur cette base d’impulsion de temps d’écoute et d’échanges, avec et sans son manager, que se jouent la création, la préservation ou encore l’optimisation du lien social. Une vigilance particulière à sensibiliser l’ensemble des membres d’une équipe sur l’importance du rôle de chacun, et à tous les intégrer dans ces moments de partage devra être observée afin que personne ne se sente injustement exclu.
Chacun pourra ainsi mieux se comprendre, se libérer de ses non-dits, du tabou de certaines de ses inquiétudes personnelles et prendre conscience des écarts potentiels de perceptions. Les incertitudes nombreuses sur le futur pourront également être abordées quand bien même le manager n’a pas les réponses à toutes les questions car il faudra apprendre à vivre et travailler avec elles.
Plus que jamais, ces pratiques conditionnent la capacité des managers à pouvoir faire preuve de leadership dans un contexte de fortes incertitudes.
En résumé
Il est important de prendre conscience que le lien social est essentiel au bien-être et à la performance des équipes. Il est menacé de fragilisation dans de nombreuses équipes au regard des impacts du contexte sanitaire. Quelles sont les solutions pour y faire face de manière appropriée et manager la cohésion ? Chaque équipe est unique d’où l’importance de commencer par s’écouter pour mieux se comprendre. C’est l’ingrédient essentiel que nous conseillons à chaque manager d’intégrer en bonne place dans les valeurs partagées, dans ses pratiques relationnelles et son organisation du travail. Une vigilance particulière à sensibiliser l’ensemble des membres d’une équipe sur l’importance du rôle de chacun, et à tous les intégrer dans ces moments de partage devra être observée afin que personne ne se sente injustement exclu. C’est ainsi que chaque manager peut accompagner autant que possible ses équipes à se sentir reconnues, à développer leur résilience et booster leur potentiel de créativité pour mieux affronter les nombreux défis du futur du travail.
Références citées
Brewer, M. B., & Gardner, W. (1996). Who is this” We”? Levels of collective identity and self representations. Journal of personality and social psychology, 71(1), 83-93.
Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2002). Overview of self-determination theory: An organismic dialectical perspective. Handbook of self-determination research, 3-33.
Deci, E. L., Olafsen, A. H., & Ryan, R. M. (2017). Self-determination theory in work organizations: The state of a science. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 4, 19-43.
Postmes, T., Wichmann, L. J., van Valkengoed, A. M., & van der Hoef, H. (2019). Social identification and depression: A meta-analysis. European Journal of Social Psychology, 49(1), 110–126.
Steffens, N. K., Haslam, S. A., Schuh, S. C., Jetten, J., & van Dick, R. (2016). A Meta-Analytic Review of Social Identification and Health in Organizational Contexts. Personality and Social Psychology Review, 21(4), 303–335.