Lorsque la crise sanitaire a frappé, début 2020, on aurait pu penser que dans de nombreux secteurs tétanisés par la pandémie, il faudrait mobiliser tous les moyens pour se prévenir des risques et de contagions et recourir à toute méthode possible pour s’en sortir. De ce fait d’aucuns imaginaient, ou craignaient, que bien des bonnes pratiques, dont l’éthique, allaient être laissées de côté ou mises sous cloche pour faire face à la crise.
Cela n’a pas été le cas !
Observons les faits et notons ainsi deux grandes tendances :
La première observation est que tous les acteurs intervenant dans la lutte contre la corruption ont continué voire accru leur activité :
Les autorités américaines (Department of Justice et Securities and Exchange Commission) ont poursuivi leurs pratiques anti-corruption ainsi que les pénalités financières :
En juillet ouverture d’une enquête contre Johnson & Johnson pour violation du FCPA. World Acceptance Corporation a dû verser une pénalité de 21,7 M $ à la SEC pour mettre fin à des poursuites pour violation du FCPA [1]. En août HERBALIFE [2] s’acquitte d’une pénalité de 123M $ au DOJ et à la SEC pour les mêmes raisons. En juillet Sculptor Capital Management [3] (anciennement Och-Ziff Capital) a dû verser 136 M$ à un groupe d’anciens actionnaires pour corruption : remarquons qu’il s’agit du premier cas d’indemnisation de personnes « lésées » par fait de corruption. Cette politique se poursuit avec une certaine force puisque le 22 octobre le DOJ et la SEC ont annoncé avoir conclu un accord de 2,9 milliards de dollars (dont plus d’un milliard dans le cadre de l’accord de la SEC) avec Goldman Sachs [4] afin de mettre un terme aux poursuites engagées contre la banque d’affaires dans le cadre de l’affaire 1MDB. Cet accord s’ajoute aux 2,5 milliards de dollars que la banque d’affaires américaine a accepté de verser à la Malaisie.
Les organisations internationales ont également poursuivi leurs politiques en la matière :
L’ONU a mis en garde à plusieurs reprises contre les risques de corruption liée à la COVID et a engagé plusieurs investigations. La Banque mondiale a blacklisté (déréférencé) plusieurs entreprises, dont, début septembre, un des Majors du BTP en Espagne, FCC Construction [5]. Le Groupe et ses 36 filiales sont privés de tout accès à des financements publics pour 2 ans suite à une affaire de corruption en Colombie.
Certains Etats ont accru leurs politiques contre la corruption :
L’Afrique du sud a ainsi créé à la Présidence un Comité interministériel d’enquête contre la corruption liée à la COVID. Le Vatican a adopté en Juin un Code régissant ses achats et marchés publics [6], et établi en Septembre un protocole entre le Préfet du Secrétariat à l’Economie et le Réviseur (Déontologue) pour accroitre l’efficacité contre la corruption. On a d’ailleurs noté le départ en retraite anticipée et discrète en septembre du Cardinal en charge du Secrétariat à l’économie….
Les poursuites contre les hommes politiques s’accroissent :
Ne parlons pas des nombreuses investigations ouvertes en Argentine, aux Philippines, en Sierra Leone… Relevons les jugements définitifs de l’été : en Malaisie l’ancien Premier Ministre Najib Razak a été condamné en juillet à 12 ans de prison pour corruption [7]. En Septembre l’ancien Président de l’Equateur Rafael Correa s’est vu confirmé en Cassation une peine de 8 ans d’emprisonnement pour corruption [8] …
Retenons donc de ces quelques exemples rapidement parcourus que la crise n’a pas engendré un recul de l’éthique, mais un maintien de la pression de nombreuses autorités publiques.
Tout aussi intéressant est que dans le même temps on observe que la notion de responsabilité pour non-respect de l’éthique et la notion même d’éthique connaissent un élargissement significatif :
L’exemple le plus fort est le cas RIO TINTO, leader mondial de l’extraction de matières premières. Le Groupe anglo-australien était critiqué pour avoir détruit en mai 2020 une grotte aborigène culturellement significative dans une concession en Australie. Dans un premier temps il a fait peser en août la responsabilité sur les manageurs locaux (privation de bonus et de promotion). Mais la vague a été si forte que deux semaines plus tard le PDG ainsi que les deux principaux DG du Groupe ont dû démissionner [9] !
Au Royaume Uni, en pleines crises de la COVID et de la préparation du BREXIT, le Parlement travaille à l’élaboration d’une Loi exigeant des entreprises, sous peine de poursuites devant la justice britannique, « une diligence raisonnable pour prévenir la déforestation » ! Notons que dans le même contexte de crises le Parlement européen vient de publier un projet de rapport relatif au devoir de vigilance des entreprises en matière de protection des droits de l’homme et de l’environnement [10].
Obligation des entreprises d’identifier et évaluer les risques liés à leurs activités en matière de droits de l’homme, d’environnement et de gouvernance, mise en œuvre de mesures de vigilance, introduction d’une infraction pénale en sont les points clés. Le projet de directive devrait intervenir en début d’année 2021.
Pour sa part L’UNESCO travaille depuis plusieurs mois sur un projet de recommandation sur l’éthique et l’Intelligence Artificielle [11]. Celui-ci a été arrêté début Septembre. Il est soumis aux 193 états membres pour une décision en 2021. Il concerne les particuliers, les entreprises et le secteur public.
Autre indication intéressante, en France le MEDEF vient de publier son édition 2020 du baromètre national de perception de la RSE [12] suite à une enquête menée durant la crise sanitaire auprès de 1500 salariés représentatifs du privé. On y voit que l’intérêt des salariés pour les sujets sociaux, économiques et l’éthique augmente, tandis que le volet environnemental est en recul. 52% des sondés estiment que l’éthique est un axe de travail prioritaire pour eux, et 37% jugent que l’éthique est devenue prioritaire pour leur entreprise, contre respectivement 49% et 33% dans la précédente édition du baromètre.
En synthèse ? Maintien de la pression publique et privée, élargissement de la notion d’éthique : la crise de la COVID n’a pas encore jeté l’éthique avec l’eau du bain ! Au contraire…
Références citées dans l’article :
[1] SECURITIES EXCHANGE ACT OF 1934. Release No. 89489 / August 6, 2020
[2] https://www.justice.gov/opa/pr/herbalife-nutrition-ltd-agrees-pay-over-122-million-resolve-fcpa-case
[3] Dylan Tokar, “Sculptor Agrees to Pay $136 Million to Bribery Scheme Victims,” The Wall Street Journal, July 27, 2020, https://on.wsj.com/3f9NyZc.
[4] Department of Justice, Office of Public Affairs. Press Release Number: 20-1143
[6] Vatican News, Edition du 01er juin 2020. https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2020-06/vatican-transparence-gestion-corruption.html
[7] Le Monde, Edition du 28 juillet 2020. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/28/scandale-de-corruption-1mdb-l-ex-premier-ministre-malaisien-najib-razak-declare-coupable_6047470_3210.html
[8] Le Monde, Edition du 8 septembre 2020. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/08/equateur-la-condamnation-de-l-ex-president-rafael-correa-confirmee-en-cassation_6051347_3210.html
[9] The Guardian, Edition du 11 septembre 2020. https://www.theguardian.com/business/2020/sep/11/rio-tinto-ceo-senior-executives-resign-juukan-gorge-debacle-caves
[10] Disponible à : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/JURI-PR-657191_EN.pdf
[11] https://fr.unesco.org/artificialintelligence/ethics
[12] Disponible en téléchargement sur le lien suivant : https://www.medef.com/fr/actualites/barometre-de-perception-de-la-rse-en-entreprise