Lorsque l’on s’intéresse à l’humain au travail, le sujet de l’écoute est un thème central. Il conviendrait de lui consacrer plusieurs articles, en ce qui me concerne, j’ai choisi d’aborder cette notion à travers trois questions clés : Écouter/être écouté(e), quels enjeux ? Pourquoi travailler son écoute dite « active » ? Et comment améliorer son écoute active ?
Écouter/être écouté(e), quels enjeux ?
Plusieurs clients ont demandé à Ekilibre Conseil au cours des derniers mois de faire réfléchir leurs équipes managériales, partenaires sociaux, équipes ressources humaines et HSE sur la place de l’écoute en entreprise.
Avec les consultants formateurs d’Ekilibre Académie, nous avons donc interrogé les participants aux ateliers et mis en débat leurs réflexions autour de quelques questions simples : en quoi est-il important d’être écouté(e) ? En quoi est-il important d’être à l’écoute ? Ces échangesont mis en avant plusieurs points : être écouté(e) est un besoin fondamental, en m’écoutant mon interlocuteur me prouve que j’existe, me rassure et me démontre du respect. Parallèlement, en étant à l’écoute, je construis une relation, je développe de la confiance, je montre de la reconnaissance et je collecte de l’information.
Derrière ces quelques mots, il est difficile de mettre de côté la place de l’écoute dans la construction des relations au sein des organisations. Il me semble que c’est un sujet d’autant plus important à prendre en compte dans le contexte actuel où la qualité du lien social est menacée par la distance physique et/ou les nouveaux modes de fonctionnement auxquelles les entreprises doivent s’adapter.
Si le pourquoi de l’écoute est souvent une évidence pour beaucoup, le comment est parfois plus mystérieux. Pour certains l’écoute serait innée, l’apanage des personnes dotées d’une grande sensibilité, ce qui rendrait son apprentissage difficile pour toute personne qui n’y serait pas prédisposée. Séparons tout d’abord l’écoute au sens biologique du terme, de la posture d’écoute. Dans le premier cas, il s’agit d’une capacité physiologique dont tout être humain avec un appareil auditif fonctionnel est doté. Dans le deuxième cas il s’agit d’une addition de compétences spécifiques qui permettent une mise en relation dédiée à accueillir ce que l’autre pense et cherche à nous dire (en ce sens il est tout à fait possible pour une personne malentendante d’être dans une posture d’écoute).
Détaillons ensemble une des techniques d’écoute parmi les plus utilisées de nos jours, l’écoute active.
Pourquoi travailler son écoute dite « active » ?
L’écoute active est un concept développé à partir des travaux du psychologue Carl ROGERS (1) qui met l’accent sur l’importance des contenus émotionnels d’une situation face aux contenus intellectuels. Il convient donc de pouvoir aller au-delà des mots, du purement objectif, dans l’univers émotionnel, personnel, et nécessairement subjectif.
C’est un ensemble de techniques et d’attitudes qui permettent d’adopter une posture de disponibilité, de respect et de confiance face à laquelle un interlocuteur pourra non seulement partager librement ses ressentis, mais également être accompagné à l’émergence de perceptions et d’émotions jusque-là non verbalisées ou encore sous-jacentes.
L’écoute active a d’abord été conçue comme un outil de soin, utilisé par les professionnels du monde médical et paramédical. Médecins, Infirmier(e)s, psychologues y ont aujourd’hui recours avec leurs patients. Tout d’abord pour favoriser la création d’une relation (que l’on appellera dans ce contexte l’alliance thérapeutique), mais aussi pour s’assurer d’avoir la confiance de leur patient et la compréhension la plus fine possible de leur situation.
Confiance, alliance, respect, compréhension… À travers ces mots clés, il est facile de voir comment l’écoute active permet de viser certains des éléments fondamentaux de toute collaboration (2). C’est en effet un outil, une compétence, qui dans le cadre des relations de travail, la relation managériale en particulier, permet d’accompagner un collaborateur à mieux conjuguer bien-être et performance.
Comme avec toute compétence, il est possible d’être novice ou d’avoir une maîtrise plus avancée, voire experte. Les apprentissages sont possibles. Petit à petit par la pratique, chacun d’entre nous peut progresser. Explorons ensemble quelques points clés qui composent l’écoute active et sur lesquels vous pourrez vous concentrer individuellement.
Comment améliorer son écoute active ?
J’ai choisi de retenir ici et de partager avec vous 9 points clés pour favoriser l’écoute active.
Évitez au maximum les interprétations et les idées préconçues : le cerveau humain aime faire des connexions, c’est même une de ses forces. Nous analysons en permanence les différentes informations à notre disposition pour penser et essayer d’expliquer notre réalité et celle des autres. Cette compétence indispensable a ici un défaut, elle nous amène à penser pour l’autre en analysant sa réalité à travers une expérience, un vécu et une histoire nécessairement différents. Or, l’objectif de l’écoute active n’est pas d’enrichir la pensée de notre interlocuteur avec la nôtre, mais bien de l’accompagner à pousser sa propre réflexion le plus loin possible.
Laissez la personne s’exprimer : en posture d’écoute active, le dialogue prend un sens différent, il s’agit d’écouter pour comprendre, plus que pour répondre. Aussi simple que ce conseil puisse paraître, prenez soin de laisser la personne s’exprimer sans lui répondre dès qu’un commentaire ou une idée vous vient en tête. Vous pouvez par exemple noter ce que vous auriez voulu dire et garder cela pour plus tard dans l’échange.
Questionnez à l’aide de questions ouvertes : l’écoute active est aussi par moment appelée écoute bienveillante, j’aime aussi l’expression d’écoute « questionnante ». Les questions ouvertes (qui sont des questions auxquelles il n’est pas possible de répondre par « oui » ou par « non ») forcent une réponse argumentée et de ce fait libèrent la pensée. L’objectif de ces questions est triple : valider auprès de votre interlocuteur votre intérêt pour son discours, mieux comprendre la situation qui vous est exposée en allant demander des précisions et enfin amener la personne à pousser sa propre réflexion.
Donnez de nombreux signes visuels et verbaux d’intérêts : que l’on soit face à face, ou à distance, il est important de continuer à confirmer votre écoute auprès de votre interlocuteur de toutes les façons possibles, même sans directement prendre la parole. Un hochement de tête aura un effet positif sur la continuité du discours de votre interlocuteur, même à travers une webcam. De la même façon, la multiplication d’acquiescements verbaux (« ok », « d’accord », « hum hum »…) seront autant de signes qui prouvent subtilement à votre interlocuteur que vous êtes à l’écoute, même au téléphone.
Reformulez : la reformulation est une pratique qui consiste à répéter une phrase ou un morceau de phrase qui a été dit il y a quelques instants. S’il est possible de le faire en utilisant des mots différents que ceux qui ont été utilisés, une reformulation pourra être tout aussi efficace en utilisant les mêmes mots simplement dans un ordre différent. Parmi les objectifs de la reformulation, il s’agit de valider avec votre interlocuteur votre compréhension de ce qu’il vient de dire, mais aussi de l’accompagner à continuer le cours de sa pensée.
Demandez des reformulations et incitez votre interlocuteur à préciser sa pensée : demander une reformulation a deux objectifs simples : vous permettre de mieux comprendre ce qui a été dit et aider la personne à mettre au clair sa pensée. Si vous n’avez pas compris ce qui vient d’être dit, il y a de fortes chances pour que cela ne soit pas clair dans la tête de votre interlocuteur.
Pratiquez des silences : le silence est un outil particulièrement puissant, puisqu’il permet d’accompagner son interlocuteur pour le forcer à compléter sa réflexion en verbalisant le fond de ses pensées. Pour être efficace, un silence n’a pas besoin d’être long, 3 à 5 secondes peuvent suffire. Entraînez-vous à être confortable avec cet outil, il est normal de vouloir combler les blancs lors d’une conversation, mais la plupart du temps, cela sera à votre interlocuteur de le faire.
Témoignez de l’empathie : l’empathie n’est pas une simple aptitude sociale, mais plutôt un construit qui découle de divers comportements et ressentis. Considérons l’empathie sous deux facettes : ressentir de l’empathie et exprimer de l’empathie. Dans un premier temps il s’agit d’être en mesure d’identifier ce que peut ressentir votre interlocuteur sans pour autant le ressentir vous-même, tout en acceptant le fait que vous pourriez ressentir quelque chose de différent à sa place. Dans un deuxième temps, témoigner de l’empathie passe autant par des comportements non-verbaux que verbaux, quand je me montre disponible, à l’écoute, intéressé, questionnant, et dans la compréhension sans jugement des émotions de l’autre, je témoigne de l’empathie. Par moment, une phrase pourra aussi exprimer de l’empathie si elle est dite simplement et reflète une vérité de la vie interlocuteur, par exemple, « j’entends dans ce que vous me dites que cette situation a été difficile pour vous. ».
Renforcez positivement : les renforcements positifs consistent à valoriser la personne qui a fait l’effort de venir vous voir et d’échanger avec vous sur ses ressentis et sa situation. Il ne faut pas sous-estimer la force d’un « merci » authentique ou d’un « bravo » sincère tout au long d’une conversation. Ces renforcements positifs clairs et répétés vont augmenter la probabilité que votre interlocuteur revienne vous voir, ainsi que l’aider à augmenter sa confiance en soi.
L’écoute active n’est pas simplement une technique, mais une posture qui se crée en mettant en place plusieurs comportements qui peuvent être utilisés individuellement et sur lesquels il est possible de s’entrainer séparément.
Pour vous améliorer, posez-vous d’abord les questions suivantes :
- Sur les points que nous venons de voir, lesquels avez-vous le sentiment de maitriser ?
- Sur lesquels avez-vous le sentiment de devoir encore vous améliorer ?
Prenez votre temps, et soyez honnête avec vous-même, certains sont des experts en reformulations, d’autres maitrisent parfaitement les silences, chacun à son style, et c’est normal.
Une fois que vous avez identifié vos points forts et les comportements qui mériteraient encore du travail, réfléchissez aux opportunités que vous pourriez avoir pour pratiquer. Vous n’avez pas forcément besoin d’un long échange pour cela, une simple conversation peut suffire, l’écoute active peut se pratiquer au quotidien, aussi bien dans son environnement professionnel que personnel. Par exemple, donnez-vous comme objectif de n’utiliser que des questions ouvertes lors de votre prochaine discussion avec un(e) proche. Ou bien assurez-vous de donner un maximum de signes visuels et verbaux d’intérêts pendant votre prochaine réunion en équipe.
Comme avec toutes compétences, la pratique sera la clé de vos progrès. Alors, quelles sont vos prochaines actions sur ce sujet ?
Références :
(1) Rogers C. Carl Rogers et le développement de l’Approche Centrée sur la Personne. ACP Pratique Recherche. 2008;(8): 50-2
(2) Spataro S, Bloch J. “Can You Repeat That?” Teaching Active Listening in Management Education. Journal of Management Education. 2018; 42(2): 168-198