Les organisations modernes fondent en partie leur développement sur une ambiguïté. Elles doivent procéder régulièrement à des changements pour s’adapter aux évolutions de leur environnement socio-économique, tout en préservant l’engagement et la productivité de leurs salariés. Les transformations organisationnelles sont aujourd’hui au cœur de la vie d’une entreprise. Cependant, elles peuvent être associées à des difficultés d’acceptation et d’adaptation du point de vue des collaborateurs. Accompagner les collaborateurs à dépasser les blocages qu’ils entretiennent vis-à-vis du changement passe en premier lieu par une meilleure compréhension de cette réalité, mais aussi par un accompagnement adapté.
Qu’est-ce que la résistance au changement ?
Quel que soit le but visé, la transformation planifiée induit une modification de l’environnement de travail du salarié, qui doit alors mobiliser différentes ressources pour ajuster ses méthodes de travail. Les réactions au changement sont multiples et multifactorielles. Néanmoins, la résistance au changement a très souvent été présentée comme le principal mode de réaction des salariés face à la transformation. Le concept de résistance, introduit par le modèle de Kurt Lewin [1], désigne des comportements d’opposition directe ou indirecte avec le changement. Face à une transformation planifiée et imposée, les salariés auront en effet tendance à réagir de façon à préserver les aspects de leur situation de travail qu’ils perçoivent comme les plus sujets à la menace [2].
Cependant, il est important de garder à l’esprit que les réactions qui sont décrites comme de la “résistance” au changement désignent bien souvent la manière dont les contributeurs du changement (direction, cadres dirigeants, pilotes du changement) perçoivent les comportements des autres personnes les plus impactées par le changement. Or ces deux groupes sont caractérisés par des rapports bien différents au changement. Les premiers ont une perception rationnelle et réfléchie des transformations, plutôt axée sous l’angle des gains. Les seconds ont une perception plus émotionnelle du changement, liée aux pertes individuelles et au caractère imposé des transformations. Là où les premiers verront une résistance, les seconds verront une manière rationnelle de protéger les acquis liés à leur situation de travail. Entendre et comprendre ce décalage s’avère donc essentiel pour maximiser les chances de fédérer et faire adhérer les salariés au changement.
Utiliser les résistances pour gérer efficacement le changement
Si les résistances au changement sont quasi-systématiquement présentées comme des réactions négatives, certains psychologues et chercheurs considèrent au contraire qu’elles permettent une meilleure compréhension du vécu du changement [3]. Nous avons vu que les résistances au changement s’expriment lorsque ce dernier est perçu comme une menace par les personnes qui le vivent. Plutôt que de considérer que la gestion du changement passe forcément par le fait de vaincre les résistances, il est donc possible de considérer que celles-ci pointent en réalité les aspects du changement qui sont considérés comme problématiques. Les résistances ne sont alors plus considérées comme des freins au processus de changement, mais comme des guides.
Si le principe de cette méthode de conduite du changement est relativement simple, sa mise en place peut s’avérer plus compliquée et nécessite de réelles compétences du point de vue managérial et dans le pilotage global du changement. Tout d’abord, le manager doit porter une attention constante aux collaborateurs. Contrairement aux idées reçues, un mécontentement face au changement peut s’exprimer de nombreuses manières, et parfois de façon très subtile. Les managers doivent également faire preuve d’empathie pour avoir la capacité de détecter les questionnements et les préoccupations qui s’expriment. Enfin, il s’agit pour les managers de proposer aux collaborateurs à la fois des alternatives aux facteurs de mécontentement, mais aussi de leur présenter le changement de sorte qu’ils en aient une compréhension plus rationnelle et plus collective.
Limiter la résistance en favorisant l’engagement des salariés
Le changement fait aujourd’hui partie de la vie quotidienne d’une entreprise. L’accompagnement au changement doit donc s’inscrire dans une vision à long terme. Lorsqu’on s’intéresse aux facteurs qui facilitent l’acceptation du changement, quelles qu’en soient les caractéristiques, on constate que l’engagement envers l’organisation est très souvent cité [2]. Or l’expérience de l’adaptation continue rend justement difficile le processus d’engagement [4]. Dans ce cadre, l’accompagnement au changement passe donc par un travail sur le maintien de l’engagement des collaborateurs.
Il existe, dans le cadre professionnel, deux formes principales d’engagement [5] : l’engagement affectif, qui résulte du partage des valeurs et objectifs de l’organisation, et l’engagement calculé, qui renvoie aux coûts individuels perçus par le salarié s’il décide de quitter son organisation pour une autre. Les processus d’accompagnement au changement doivent donc faire en sorte de mettre en avant une certaine continuité concernant les valeurs de l’organisation, mais aussi les avantages accordés aux salariés. De même, il est important de mettre en place un climat de travail qui favorisera l’engagement de manière générale. Une telle initiative peut se traduire par l’implication des collaborateurs dans les décisions relatives au changement, mais aussi par la mise en place de dispositifs d’échange permettant l’expression de toutes les opinions.
En synthèse ? Peu importe l’objet du changement, seule la perception de cohérence et de justice compte aux yeux des salariés. À court terme, ce qui est traditionnellement considéré comme des résistances peut en réalité guider utilement le changement en pointant les freins à l’acceptation des collaborateurs. À moyen terme, les résistances peuvent être limitées par la mise en place d’un climat de travail facilitant l’engagement des salariés. Des aspects à ne pas négliger pour que le changement se déroule dans les meilleures conditions !
Références citées
[1] Lewin, K. (1951). Field theory in social science : Selected theoretical papers. New York, NY : Harper
[2] Paillé, P. (2012). Changement organisationnel, résistance et engagement des salariés. Psychologie du Travail et des Organisations, 18(1), 61-80.
[3] Collerette P., Delisle, G., & Perron R. (2000). Le changement organisationnel. Théorie et pratique. Presses Universitaires du Québec, Québec.
[4] Cappelli, P. (2000). Managing without commitment. Organizational Dynamics.
[5] Meyer, J., Stanley, D., Herscovitch, L., & Topolnytsky, L. (2001). Affective, Continuance, and Normative Commitment to the Organization: A Met-aanalysis of Antecedents, Correlates and Consequences, Journal of Vocational Behavior, 59, 1-33.