Comme toutes les décisions stratégiques, le changement organisationnel a un but précis : celui d’améliorer ou de maintenir le niveau de performance de l’entreprise. Qu’il intervienne dans un contexte de crise sanitaire nécessitant des adaptations importantes (comme c’est le cas actuellement), dans le cadre des transformations numériques ou tout simplement en réponse aux évolutions sociétales, le changement constitue en effet un investissement sur l’avenir pour l’entreprise. Cependant, cette vision parfois idéalisée de la transition tend à faire oublier que toute adaptation passe par une période de test, de flou, qui peut contrarier douloureusement les attentes des acteurs du changement.
Se détacher d’une vision idéalisée pour accepter la réalité du changement
Pour parvenir à son objectif affiché de performance, le changement est généralement pensé et conçu en avance dans ses moindres détails par une task force dédiée (du moins le croit-on). Les attentes des dirigeants sont donc très souvent à la hauteur de ces ambitions : une transformation radicale, positive, soutenue et impulsée par l’ensemble des acteurs de l’entreprise. Mais les dirigeants ne sont pas les seuls à avoir des attentes dans le changement. Dans nos sociétés perfectionnistes où le travail bien fait est considéré comme un minimum, chaque salarié ou presque aspire à être suffisamment performant pour être satisfait de son travail. Et la période de changement n’échappe pas à cette règle, encore moins quand celui-ci s’entoure d’une communication providentielle autour des bienfaits de ces transformations sur la performance.
Cependant, cette conception du changement pose la question de l’adaptation. Est-il raisonnable d’envisager qu’un bouleversement des habitudes de travail puisse se passer sans heurt ? Rien n’est moins sûr ! Adaptation à un nouvel outil, à une nouvelle équipe, à de nouveaux locaux, parfois les 3 … Même les transformations les mieux pensées et les mieux préparées ne peuvent se départir de la période de flou qui accompagne toute situation nouvelle. Si le changement profond est un investissement sur l’avenir, il implique quasi-nécessairement une période de transition qui impacte la performance.
Sortir de l’utopie pour faciliter la transformation
Spécialiste de l’étude du changement, Paul Watzlawick évoque dans ces travaux l’existence d’un syndrome d’utopie dans le changement. Ce syndrome repose sur l’idée selon laquelle chaque personne a un point de vue sur la façon dont les choses sont, mais aussi sur la façon dont elles devraient être. En cas de divergence trop élevée entre ces deux visions, le risque de souffrance est grand. Appliqués au changement organisationnel, ces travaux nous indiquent que plus les attentes d’un individu concernant sa performance sont importantes, plus celui-ci risque de souffrir lorsque le niveau espéré de performance est temporairement inatteignable. Et ce, qu’il s’agisse des attentes individuelles d’un salarié par rapport à son travail ou des attentes d’un dirigeant pour son entreprise. Or, nous l’avons vu, tout changement profond implique des adaptations, des apprentissages et donc nécessairement des erreurs.
En tant qu’individu, il est donc important de revoir ses attentes à la lumière des conditions de travail qu’induit le changement. Accepter de perdre temporairement en performance et se donner le droit à l’erreur n’est pas un exercice simple mais il peut dans ce cadre être salvateur. Se permettre de ne pas y arriver aussi bien qu’avant dans un premier temps, c’est s’autoriser à mettre en place de nouvelles idées, faire des tentatives, expérimenter ce que chacun n’a jamais encore fait. Cela implique de poser un regard objectif et bienveillant sur ses erreurs, d’en comprendre leurs sources, d’en identifier les raisons pour en tirer les leçons qui s’imposent et, finalement, progresser.
Bien évidemment, se donner le droit à l’erreur implique également que celui-ci nous soit accordé par l’organisation. Le grand paradoxe des entreprises envers ce droit à l’erreur réside dans le fait qu’elles le savent incontournable à l’innovation, et pourtant elles restent très frileuses à son encontre. En tant que dirigeant ou manager, la conduite du changement implique donc de démystifier l’échec et de valoriser la prise d’initiative afin de rassurer et d’encourager ses équipes.
En résumé ? Quel que soit le cadre dans lequel il intervient et quelles qu’en soient les conséquences, le changement organisationnel implique donc une perte temporaire de performance inhérente à toute situation d’adaptation. Si le principe sous-tendu par cette affirmation est relativement simple à comprendre, il est en revanche plus compliqué à intégrer aux politiques de transformations en entreprise. Capitaliser sur le long terme, accepter l’erreur et considérer l’échec comme un signe de progression sont cependant des comportements clés pour la réussite d’un changement. L’accompagnement par un professionnel de la conduite du changement peut être un outil précieux pour revoir ses exigences et traverser plus sereinement les périodes de transition.
Principale référence citée :
Benoit, D. (2016). Paul WATZLAWICK, John WEAKLAND et Richard FISCH (1975/1974), Changements–Paradoxes et psychothérapie. Paris, Seuil, Coll.«Point». Communication. Information médias théories pratiques, 34(1).