“Donner du sens au travail” … Cette expression est devenue en quelques années un incontournable dans le vocabulaire du management et de la gestion de projet.
Exercer une activité qui a du sens permettrait l’engagement, la motivation, la satisfaction, le bien-être, la performance … Les études sont de plus en plus nombreuses et (quasi) unanimes : l’épanouissement professionnel passe par le sens.
Cependant, en s’intéressant de plus près au lien entre sens et travail, on se rend vite compte que les significations peuvent être très différentes en fonction des personnes.
Que se cache-t-il derrière ce fameux sens ? Quelles implications au niveau managérial ?
Sens comme … représentation ?
L’une des principales définitions du mot “sens” désigne l’idée générale ou l’ensemble d’idées à laquelle renvoie un mot ou une expression. En d’autres termes, sa définition. Selon cette description, la relation entre sens et travail serait donc en partie déterminée par la représentation que se fait un individu de son activité : le travail a alors “un” sens. Avoir une idée précise et relativement fixe de l’objet de son travail, de son rôle au sein de l’équipe, de sa place au sein de l’organisation, permet l’identification à sa profession et à son organisation. “Le travail est la plus importante machine à produire de l’identité sociale” dixit Renaud Sainsaulieu (sociologue, spécialiste de l’identité organisationnelle, 1995).
Au niveau managérial, nous conseillons de s’assurer que chaque collaborateur se sent intégré et a une représentation claire de sa place au sein de l’équipe de travail. Ceci demande une compétence de décentration : il s’agit de guider le collaborateur pour qu’il puisse élaborer sa propre représentation, et non de lui en imposer une. S’il est nécessaire de s’accorder sur une base de représentation commune, c’est en effet de l’expérience individuelle que doit naître la représentation qui est à la base du sens.
Sens comme … utilité ?
Le sens d’un mot ou d’un objet, c’est aussi l’idée ou l’ensemble d’idées qui sert à l’expliquer, à le justifier. “Ce qui donne un sens à” … au travail en l’occurrence. Dans ce cadre, la psychologie du travail a, à plusieurs reprises, rapproché la notion de sens de la notion de besoin. Les chercheurs en psychologie parlent notamment d’utilité sociale, à savoir la valeur conférée au travail par son adéquation avec les besoins d’autrui (Cambon, 2000). Qu’est-ce qui justifie l’existence d’une fonction ou d’un travail ? En premier lieu, le besoin auquel il répond ! Percevoir le sens de son travail passerait donc par le fait d’en appréhender la finalité.
Dans ce cadre, nous conseillons que le chef d’équipe ou de projet s’assure que le collaborateur a une vision claire de l’utilité de son travail et des besoins auxquels il doit répondre dans le cadre de l’atteinte d’un objectif. Ces besoins peuvent concerner l’équipe ou l’organisation, comme les clients ou fournisseurs externes à l’entreprise. Chaque projet, pour être porteur de sens, doit être inscrit dans le fonctionnement général de l’organisation et ramené à l’utilisation qu’en feront les destinataires finaux.
Sens comme … valeurs ?
Les visions de la relation entre sens et travail comme représentation ou utilité en véhiculent une image de “sens-produit”, résultat d’une réflexion existentielle (la recherche de sens) et mesurable de façon quantitative (le niveau de sens, voir Bernaud et al., 2015). Cependant, le sens peut également être compris comme un processus, caractérisé notamment par la signification que revêt le travail dans l’esprit de celui qui le réalise. Cela correspondrait alors à l’interprétation subjective que fait un individu de son travail, sur la base de ses valeurs et de son identité personnelle (voir Gonzalez et al., 2013). Percevoir le sens de son travail passerait donc par une cohérence entre ses valeurs personnelles et les valeurs véhiculées par son poste et son organisation.
Dans ce cadre, nous conseillons à chaque manager d’être un ambassadeur, un relais actif des valeurs qui sont à la base de l’organisation, et qui sont parfois difficiles à percevoir par chaque collaborateur. Toutefois, cela ne suffit pas. Il est important de permettre à chacun de définir les valeurs qui régissent les projets menés par l’équipe. Créer de la valeur sur la base du collectif et des identités individuelles, grâce à l’échange et au partage, favorisera l’adhésion des collaborateurs et la perception de sens.
Sens comme … reconnaissance ?
La relation entre sens et travail peut donc être éclairée par la représentation, l’utilité, ainsi que les valeurs associées à son travail. Cependant, percevoir l’ensemble de ces aspects est impossible sans le sentiment d’être reconnu pour son travail. L’expression de reconnaissance est à la fois garante d’intégration au sein de l’équipe, de perception de l’utilité de son travail et d’adhésion aux valeurs du projet. Véritable agent de développement des personnes, liant et facteur dynamique dans les relations de travail, la reconnaissance est, selon la recherche, l’un des principaux facteurs de sens professionnel (Brun & Dugas, 2005).
Dans ce cadre, nous conseillons à chaque manager de promouvoir l’expression de la reconnaissance sous toutes ses formes au sein de l’équipe : reconnaissance des résultats, bien sûr, mais pas seulement ! La reconnaissance doit également porter sur les compétences et savoir-faire des collaborateurs mais aussi sur leur investissement et leur engagement dans le travail. Plus simplement encore, il est nécessaire de reconnaître les collaborateurs en tant qu’individus porteurs d’une identité propre : on parle alors de respect, de considération, d’échanges informels sur des sujets qui peuvent ne pas être liés au travail, de politesse …
En résumé ? La relation entre sens et travail est riche et multiple. Elle peut se concevoir à la fois comme le produit d’une réflexion concernant le rôle et la finalité de son travail, mais aussi comme un processus continu de création de valeurs. L’ensemble de ces valeurs s’articulent notamment autour de l’expression d’une reconnaissance plurielle. Le rôle du manager est ici central. Coordinateur de l’équipe, porteur des valeurs de l’organisation et première source de reconnaissance : sa position lui permet d’accompagner chaque collaborateur dans la création de son sens au travail.
Références citées dans l’article
Bernaud, J. L., Lhotellier, L., Sovet, L., Arnoux-Nicolas, C., & Pelayo, F. (2015). Psychologie de l’accompagnement: Concepts et Outils pour Développer le Sens de la vie et du Travail. Dunod.
Brun, J. P., & Dugas, N. (2005). La reconnaissance au travail : analyse d’un concept riche de sens. Gestion, 30(2), 79-88.
Cambon, L. (2000). Désirabilité et utilité sociale, deux composantes de la valeur: une exemplification dans l’analyse des professions (Doctoral dissertation, Clermont-Ferrand 2).
González, L. A. G., Léger, D., Bourdages, L., & Dionne, H. (2013). Sens et projet de vie: une démarche universitaire au mitan de la vie. PUQ.
Sainsaulieu, R. (1995). « Les métamorphoses du travail », Le Monde du 17 mai 1995, 26.