Avec la période de confinement, le travail à distance s’est imposé dans le quotidien professionnel de millions de Français. Sa généralisation s’est accompagnée d’une utilisation massive d’outils numériques permettant à la fois le travail collaboratif et la communication à distance. Une nouvelle forme d’organisation qui semble s’imposer dans la durée, malgré l’incertitude initiale. Dès lors, il n’est pas étonnant que certains salariés remettent en question l’obligation de se rendre au bureau, synonyme pour beaucoup de fatigue, de perte de temps, voire de difficultés de concentration (bruits dans les open-spaces, sollicitations permanentes, …). Depuis plusieurs années, des recherches en psychologie montrent l’utilité de l’espace bureau.
Un espace de dialogue et d’échanges
Le développement des outils numériques a radicalement modifié notre rapport à l’espace de travail. Depuis maintenant plusieurs années, ce n’est plus la nécessité matérielle qui nous conduit tous les matins à prendre le chemin du bureau (Monjaret, 2002). Désormais espaces de vie à part entière, les activités qui s’y développent (travailler, manger, échanger sur des sujets divers, partager des moments de convivialité et des activités … etc.) ne sont plus systématiquement associées aux obligations professionnelles. Elles ont en revanche un rôle très important dans la socialisation organisationnelle des salariés.
Des études scientifiques en psychologie ont illustré à de nombreuses reprises l’importance de ce que l’on nomme le besoin d’affiliation sociale (Ryan & Deci, 2017). Décrit comme la nécessité de se sentir à la fois relié aux individus qui nous entourent et intégré au groupe au sein duquel nous interagissons, ce besoin fondamental serait au cœur du processus de motivation des collaborateurs(Deci et al., 2017). L’espace de bureau, en facilitant les échanges informels, permettrait ainsi la création et le maintien d’un climat de travail agréable, propice à la productivité et à l’engagement.
Le bureau, un facteur d’identification à l’entreprise
En plus d’inciter à l’échange, les espaces de bureaux permettent la création d’un lien entre le collaborateur et l’entreprise, essentiel pour la santé psychologique des collaborateurs. Il est en effet majoritairement admis parmi les spécialistes de la psychologie que l’identité d’un individu découle en partie de son appartenance à divers groupes sociaux (Hornsey, 2008). Les groupes de travail en font partie. L’intégration au sein de son entreprise serait ainsi importante pour construire son identité.
Or l’espace bureau contribue fortement à ce sentiment d’appartenance. Plusieurs recherches montrent en effet que la possibilité pour le collaborateur de personnaliser l’espace bureau améliore l’identification organisationnelle, elle-même facteur de satisfaction, de motivation et de performance (Kreiner & Ashforth, 2004 ; van Dick, 2004). Ces résultats vont à rebours de la tendance actuelle, qui irait plutôt vers une dépersonnalisation et une flexibilité totale des bureaux. Accepter une marge de manœuvre dans l’aménagement des bureaux et autoriser les effets personnels (cadres, décoration, plantes…) semblent donc être de bons réflexes à retrouver pour engager les collaborateurs.
Quelles implications pour l’organisation du travail ?
Ces différents constats mettent en avant l’ambivalence associée aux espaces bureaux, à la fois facteurs de fatigue, de difficultés à gérer ses temps de travail, mais aussi d’échange, de dialogue et de sentiment d’appartenance. En tant que chargé d’équipe ou de projet, il semble dès lors compliqué de mettre en place une organisation du travail qui puisse subvenir à ces besoins en apparence contradictoires. Certaines pratiques permettent cependant cette gestion :
- Lorsque le télétravail est mis en place, il est recommandé d’inclure à minima un à deux jours hebdomadaires de présence au bureau. Cette organisation du travail permet aux collaborateurs de maintenir un lien avec l’ensemble de l’équipe mais aussi avec l’entreprise. Elle est d’autant plus importante dans les équipes où le télétravail ne concerne qu’une partie des collaborateurs, afin de limiter la sensation de mise à l’écart. Les modalités du télétravail peuvent néanmoins être ajustées après quelques mois de tests si les collaborateurs en font la demande.
- L’aménagement des espaces de bureaux doit être conçu de manière à répondre aux besoins des collaborateurs. Si les espaces bureaux sont aujourd’hui principalement des lieux d’échanges et de collaborations, les installations doivent être pensées en conséquence. Si les collaborateurs sont régulièrement amenés à se concentrer, pourquoi ne pas prévoir des salles silencieuses ? N’oubliez pas de considérer l’ensemble des besoins relatifs aux différents postes de l’équipe de travail.
- De manière transversale, il est important de ne pas concevoir le processus d’aménagement des bureaux et d’organisation du travail comme un moment précis et limité dans le temps. Ce type de transformation nécessite souvent plusieurs ajustements, parfois des retours en arrière, toujours basés sur un dialogue permanent entre manager et collaborateurs. Gardez donc un esprit d’expérimentation !
En synthèse ? La période de confinement a paradoxalement mis en avant l’importance de l’espace bureau sur le plan social et identitaire. Le réinvestissement progressif des espaces de travail partagés doit ainsi nous inciter à accélérer la transformation de ces lieux pour être en accord avec leur utilisation actuelle et avec les besoins fondamentaux des collaborateurs.
Références citées :
Deci, E. L., Olafsen, A. H., & Ryan, R. M. (2017). Self-determination theory in work organizations: The state of a science. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 4, 19-43.
Hornsey, M. J. (2008). Social identity theory and self‐categorization theory: A historical review. Social and personality psychology compass, 2(1), 204-222.
Kreiner, G. E., & Ashforth, B. E. (2004). Evidence toward an expanded model of organizational identification. Journal of Organizational Behavior, 25, 1–27.
Monjaret, A. (2002). Les bureaux ne sont pas seulement des espaces de travail…. Communication et organisation, 21.
Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2017). Self-determination theory: Basic psychological needs in motivation, development, and wellness. Guilford Publications.
Van Dick, R., Christ, O., & Stellmacher, J. (2004). Should I stay or should I go? Explaining turnover intentions with organizational identification and job satisfaction. British Journal of Management, 15, 351–360.