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Le risque suicidaire patronal

Ecrit par Monique RENARD

Monique Kuong Renard, Docteure en psychologie

Sous la direction de Lionel Dagot, MCF HDR

En partenariat avec APESA France

Peu d’études sur la santé des dirigeants existent et celles concernant leur suicide sont rares. Pourtant tout comme les autres catégories professionnelles, les entrepreneurs sont soumis aux risques psychosociaux (RPS). Parmi les principaux facteurs de RPS, le manque de soutien social (Algava, Cavalin & Célérier, 2011) et la solitude font partie de leur quotidien. Le défaut d’intégration à un groupe social et le déficit de lien social sont, par ailleurs reconnus depuis plus d’un siècle, comme des facteurs d’un passage à l’acte suicidaire (Durkheim, 1897). D’autres risques spécifiques au métier d’entrepreneur sont déjà identifiés. Cartographier ces risques peut non seulement aider à comprendre le processus suicidaire patronal mais aussi à le prévenir.

Entrepreneur un métier à risque

La santé du dirigeant, une vulnérabilité patronale

Le capital santé du dirigeant est le « principal actif immatériel d’une PME », toute la pérennité de l’entreprise en dépend (Lechat & Torrès, 2016). Pour cause, au-delà des impacts émotionnels et psychologiques, les PME dont le dirigeant meurt, sont deux fois plus nombreuses à faire faillite comparativement aux autres entreprises (Becker & Hvide, 2013). Elles perdent environ 60 % de CA et 17 % de masse salariale (Becker & Hvide, 2013). Le manque de travaux d’envergure rend difficile l’objectivation des conséquences d’une défaillance de santé patronale. Néanmoins, des risques spécifiques au métier sont déjà bien repérés et documentés.

L’adversité patronale et risque suicidaire

Parmi les risques typiques de l’entrepreneur, le dépôt de bilan est ressenti comme le plus intense en termes de stress (Lechat & Torrès, 2016). Il est synonyme de perte financière et d’emploi (Lechat, 2014), perte de soi (Ucbasaran & al., 2013). Dès lors, le dirigeant en faillite risque d’être seul face à ses salariés, ses créanciers, ses proches et à lui-même.

La faillite peut être assimilée à une faillite personnelle (Lechat & Torrès, 2016) qui s’accompagne fréquemment d’un divorce et/ou d’une dépression (Ucbasaran & al., 2013), d’idéations suicidaires (Binnié, Douillard & Fèvre, 2018). La seule présence de ce facteur de stress doit susciter l’accompagnement du dirigeant (Lechat & Torrès, 2016). Les retentissements sont économiques, mais aussi psychiques, provoquant chez l’entrepreneur une blessure narcissique majeure, une dégradation de l’estime de soi et un sentiment de péjoration de l’avenir (ANAES, 2001).

Les banqueroutes et les faillites constituent la première cause de passage à l’acte suicidaire (Bah & Gaillon, 2016). Le dépôt de bilan représente donc un stresseur pouvant précipiter le suicide (Berger-Douce & Scoyez, 2012). Le suicide entraîne des répercussions cliniques sur les proches et devient un facteur de risque pour eux (Vaiva, 2008). L’entourage professionnel n’est pas en reste, il importe donc d’être vigilant au deuil, au stress post-traumatique ou encore au phénomène d’imitation du suicide (Borenstein, 2016).

Cartographie des facteurs RPS du risque suicidaire patronal

Le suicide est plurifactoriel (ANAES, 2001)et le processus suicidaire s’installe avec l’adversité. Dans leur étude exploratoire, Gigonzac et al. (2021) estiment que 10 % des suicides analysés sont potentiellement liés au travail sans pour autant tenir compte du statut du travailleur (salarié ou non salarié). Nos analyses proposent de cartographier l’adversité patronale à travers les facteurs de RPS du risque suicidaire patronal.

Les facteurs de risque identifiés

Les analyses que nous avons réalisées permettent d’identifier trois grandes dimensions de risque :

  • La première dimension que nous appelons « adversité privée » regroupe la « séparation conjugale », le « problème de santé » et l’« absence de perspective ».
  • La deuxième dimension correspond au « sentiment de tristesse ».
  • La troisième dimension que nous nommons « adversité patronale » intègre la « situation financière difficile », le « sentiment de honte » et la « perspective de liquidation judiciaire ».

Les facteurs de protection identifiés

Nos analyses permettent également d’identifier trois dimensions de protection :

  • La première que nous nommons « projections dans l’avenir » regroupe les critères « déterminé à s’en sortir », « perspectives positives » et « autres sources de revenus ».
  • La deuxième que nous appelons « ressources psychologiques et comportementales » intègre les « loisirs et projets » et la « bonne estime de soi ».
  • La troisième dimension que nous appelons « ressources relationnelles » comprend un « conjoint soutenant » et des « liens familiaux/sociaux de qualité ».

Actions pour mieux prévenir le suicide patronal

Ces dernières années ont émergé les premières initiatives pour prévenir le risque suicidaire patronale. D’autres niveaux d’intervention sont possibles bien en amont de la crise suicidaire. L’information sur les procédures judiciaires et des accompagnements centrés sur l’espoir sont des pistes prometteuses.

Prévenir la crise suicidaire

Parmi ces actions, citons le dispositif APESA, Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aiguë. L’association forme des professionnels présents dans l’écosystème de l’entrepreneur (greffiers, juges, mandataires, avocat, experts comptables, assureurs, etc.) à détecter un risque de suicide et à activer une prise en charge psychologique d’urgence et gratuite.

Anticiper les difficultés patronales, déstigmatiser les procédures judiciaires

Former les futurs et nouveaux entrepreneurs à monter leur entreprise, mais également à s’informer sur les procédures judiciaires, est primordial. Lorsque les difficultés commencent, ceci favoriserait un recours plus rapide aux aides pour l’entreprise et l’entrepreneur. Depuis plusieurs siècles, les procédures de sauvegarde, les redressements et les liquidations judiciaires ont évolué vers des mesures préventives afin d’anticiper les difficultés des entrepreneurs (Magras, 2018). Tous les prétendants à l’entrepreneuriat méritent de les connaître.

Favoriser la santé, capitaliser sur l’espoir

L’espoir comme processus cognitif (Snyder, 2002) favoriserait l’usage de stratégies d’adaptation (Alexander & Onwuegbuzie, 2007 ; Berg, Snyder & Hamilton, 2008 ; Snyder & al., 2005)en augmentant les comportements en prévention, dépistage et gestion de symptômes dans certaines pathologies (Irving & al., 2008 ; Irving, Snyder & Crowson, 1998). Proposer des coachings orientés « espoir » serait un moyen de booster les stratégies d’adaptation de l’entrepreneur et donc de préserver sa santé.

En résumé, il existe une adversité spécifique au métier d’entrepreneur. Les facteurs de risques qui la composent, en particulier le dépôt de bilan, peuvent amener à la dégradation de la santé mentale et jusqu’au suicide. Cartographier ces risques est essentiel pour mieux les comprendre et s’inscrire dans une démarche de prévention efficace. C’est avec cette ambition que nous nous sommes mobilisés dans le cadre de nos recherches afin de contribuer au développement de connaissances spécifiques. Cela permet aujourd’hui de renforcer le bienfondé de certains dispositifs existants, comme APESA, en leur fournissant des outils complémentaires. Cette nouvelle grille de lecture des déterminants du risque suicidaire patronal nous invite également à encourager le développement d’actions complémentaires auprès des dirigeants, telles que la psychoéducation, pour favoriser leur santé mentale.

Bibliographie

Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. (2001). La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge. Conférence de consensus du 19 et 20 octobre 2000. Paris : Edition John Libbey Eurotext.

Alexander, E. S., & Onwuegbuzie, A. J. (2007). Academic procrastination and the role of hope as a coping strategy. Personalityand Individual Differences, 42(7), 1301–1310.

 Algava E., Cavalin C., & Célérier S. (2011), « La santé des indépendants : un avantage relatif à interpréter », Document de travail, n° 150, Noisy-le-Grand, Centre d’études de l’emploi.

Bah, T., & Gaillon, D. (2016). Processus suicidaire des dirigeants de petites entreprises : état des lieux et mesures de prévention [1]. Management & Avenir, 3(3), 79-105.

Becker, S. O., & Hvide, H. K. (2013). Do entrepreneurs matter ?.

Berg, C. J., Snyder, C. R., & Hamilton, N. (2008). The Effectiveness of a Hope Intervention in Coping with Cold Pressor Pain. Journalof Health Psychology, 13(6), 804–809.

Berger-Douce, S., & Scoyez, S. (2012). La prise en compte des risques psychosociologiques du dirigeant de PME. Le Grand Livre de l’économie PME, 437-460.12 ; Torres, 2011)

Binnié, M., Douillard, J., & Fèvre, M. (2018). La souffrance de l’entrepreneur : Comprendre pour agir et prévenir le suicide. Rennes, France : Presses de l’EHESP. 

Borenstein, M. (2016). Le suicide en milieu de travail : impact pour l’entourage professionnel. Suicide.

Durkheim, E. (1897) Le suicide. Étude de sociologie. Paris : PUF, 2e édition, 1967.

Gigonzac, V., Khireddine-Medouni, I., Chan-Chee, C., et Chérié-Challine, L. (2021, septembre). Surveillance des suicides en lien potentiel avec le travail. Santé publique France, 2021. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-liees-au-travail/souffrance-psychique-et-epuisement-professionnel/documents/enquetes-etudes/surveillance-des-suicides-en-lien-potentiel-avec-le-travail

Irving, L. M., Snyder, C. R., & Crowson, J. J., Jr. (1998). Hope and coping with cancer by college women. Journal of Personality,66(2), 195–214.

Irving, L. M., Snyder, C. R., Cheavens, J., Gravel, L., Hanke, J., Hilberg, P., & Nelson, N. (2008). The relationships between hope andoutcomes at the pretreatment, beginning, and later phases of psychotherapy. Journal of Psychotherapy Integration, 14(4),419–443.

Lechat †, T., & Torrès, O. (2016). Les risques psychosociaux du dirigeant de PME : typologie et échelle de mesure des stresseurs professionnels. Revue internationale P.M.E., 29 (3-4), 135–159. https://doi.org/10.7202/1038335ar

Lechat, T. (2014). Les événements stressants et satisfaisants de l’activité entrepreneuriale et leur impact sur la santé du dirigeant de PME (Doctoral dissertation, Université Montpellier I).

Magras, C. (2018). La constance des stigmates de la faillite : de l’Antiquité à nos jours [Doctoral dissertation, Bordeaux].

Snyder, C. R. (2002). Hope theory: Rainbows in the mind. Psychological Inquiry, 13(4), 249–275.http://dx.doi.org/10.1207/S15327965PLI1304 01Snydercognitif25 (Snyder, 2002)

Snyder, C. R., Berg, C., Woodward, J. T., Gum, A., Rand, K. L., Wrobleski, K. K., & Hackman, A. (2005). Hope Against the Cold:Individual Differences in Trait Hope and Acute Pain Tolerance on the Cold Pressor Task. Journal of Personality, 73(2), 287–312.

Ucbasaran, D., Shepherd, D. A., Lockett, A., & Lyon, S. J. (2013). Life after business failure: The process and consequences of business failure for entrepreneurs. Journal of management39(1), 163-202.

Vaiva, G. (2008). Les suicidants et leur entourage familial. Perspectives Psy, 4(4), 330-334.

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